Afrique du Sud: un éléphant dans sa cuisine

Un éléphant dans ma cuisine, l’histoire extraordinaire de Françoise Malby Anthony, sort en librairie. Cette Française tombée amoureuse de l’Afrique du Sud, de son bush et de ses habitants sauve les animaux sauvages du braconnage.

L’anecdote se déroule dans la réserve de Thula Thula, en plein bush sud-africain, à deux heures de Durban. Là-bas, la langue zouloue claque, les lions rugissent et les éléphants barrissent. Un éléphanteau de quelques mois, au milieu d’un salon, scrute cet environnement étranger à ses coussinets. Il finit par s’y habituer pour attendre la caresse et le biberon. Le pachyderme sait qu’il aura tout ce dont il a besoin et que personne ne lui fera de mal.

Drôle de scène dans la cuisine de Françoise Malby Anthony ! Mais c’est elle qui a donné son titre au livre qu’elle vient d’écrire : Un éléphant dans ma cuisine. Cette Parisienne de naissance, Sud-africaine d’adoption, y raconte son histoire d’amour avec la nature sauvage et à travers elle, une histoire de courage, de persévérance et d’espoir au milieu des éléphants. La traduction française de ce livre témoignage est disponible à partir du mois d’avril 2019, comme un écho à son quotidien extraordinaire de gérante d’une réserve animalière pas tout à fait comme les autres.

Car Thula Thula, c’est d’abord l’œuvre du mari de Françoise Malby Anthony, décédé brutalement en 2012. Auteur du best-seller L’homme qui murmure à l’oreille des éléphants (voir page 29), il a laissé à sa femme, un lieu plein de promesses mais une mission immense : poursuivre le travail de préservation de la faune sauvage de la réserve de Thula Thula.

« Je me suis retrouvée seule à gérer cette réserve de 4 500 hectares avec un troupeau de 21 éléphants, deux safaris lodge et soixante quinze employés. Une responsabilité à laquelle je n’étais pas du tout préparée. Avec peu de connaissance du travail dont était responsable mon mari, la conservation de la réserve et des animaux, j’ai réalisé que j’avais beaucoup à apprendre », explique Françoise.

La lutte contre le braconnage, la mise en place de partenariats avec les populations locales, le soin aux animaux, l’accueil des touristes qui viennent des quatre coins du monde pour admirer les beautés du lieu…. Le travail est titanesque mais on imagine facilement que tous les jours, la rencontre avec la faune de la réserve, lui donne, comme aux visiteurs, un souffle d’énergie qui pousse vers l’avant. Des girafes, des rhinocéros, des zèbres, des kudus, des crocodiles, des léopards ou des buffles foulent tous les jours, les pistes rocailleuses qui longent la rivière Entsaleni. Et dans le ciel, vole une population de plus de 200 vautours africains à dos blanc, une espèce menacée et à l’air menaçant. Celui qui tente l’aventure dans la brousse de ces collines du Zoulouland sera ravi.

Surtout si au détour d’un chemin, il tombe sur Nana, Frankie, Ilanga, Numzane, Mandla, Mabula ou Marula. Ces sept éléphants font partie du troupeau d’origine, celui sauvé il y a vingt ans par Lawrence Anthony. Aujourd’hui, la réserve en compte 29.

En 4×4, le départ se fait en général en fin d’après-midi, quand les animaux sont calmes et se dirigent vers les points d’eau. Le soleil descend, la lumière baisse, le bush craque et la nature semble s’installer dans le calme. La rencontre avec les éléphants n’est pas garantie mais gnous, zèbres et autres antilopes se promènent, nonchalamment sans prêter attention aux visiteurs, offrant déjà un beau spectacle. Puis parfois, au bout de quelques heures, quand la chance décide enfin de pointer son nez, un arbre cassé barre la piste. Un indice pour l’œil affûté du ranger : les éléphants viennent de passer.

Victor Ngwenya, ranger depuis dix ans à Thula Thula, ne s’y trompe jamais. Il rassure les touristes venus du bout du monde pour rencontrer les majestueux animaux : ils ne doivent pas être loin. Il dégage la voie, poursuit lentement sur la piste de terre, tous les sens aux aguets. « Un éléphant, c’est gros, on devrait le voir de loin », remarque-t-on du haut de sa naïveté de citadin. « Non ! » répond le ranger : malgré leur taille imposante, les éléphants apparaissent souvent au dernier moment, lorsque l’on est tout près d’eux. Le temps d’acquiescer et de tourner la tête, Frankie, la majestueuse femelle jaillit devant le 4×4, trompe en avant, oreilles battantes, comme une apparition. Alors reviennent en mémoire les chapitres du livre…

une recontre exceptionnelle

Un peu plus loin, comme dans un dessin animé de Walt Disney, les petits, moyens et grands éléphants jouent, se bousculent et se rapprochent du véhicule. On se plait à imaginer leurs conversations d’adolescents capricieux.

« Pousse-toi ! – non toi ! – et pourquoi moi ? tiens, qu’est-ce que premiers éléphants, Thula Thula a bien évolué. D’abord c’est que ça ? ». Vusi, petit mâle peu farouche, tente d’ouvrir sous l’impulsion de Lawrence Anthony, puis de Françoise le capot avec ses minuscules défenses. Tonic, téméraire, Malby. Dans Un éléphant dans ma cuisine, chaque page cherche l’affrontement tout en reculant. Victor prévient : les décrit les nombreux challenges et qu’elle a dû surmonter gestes brusques sont proscrits. Ils effraieraient les éléphants pour conserver la réserve mais aussi la joie de se savoir utile. et pourraient leur donner envie d’attaquer pour se protéger. « La relation extraordinaire avec notre troupeau d’éléphants, chacun Tout le monde retient son souffle, les yeux écarquillés. Le d’entre eux ayant un nom et une personnalité bien définie, et avec véhicule est arrêté. Le troupeau passe à 50 centimètres. nos rhinos orphelins Thabo et Ntombi, que nous avons élevés et Certains animaux s’attardent, regardent, sentent les sacs… qui demandent un câlin à nos touristes en safari, tous les animaux Dans la voiture, chacun hésite entre frayeur et fascination. dont le lecteur tombera amoureux » sont autant de raisons de se Victor donne les noms au fur et à mesure qu’ils apparaissent, réjouir, disait-elle récemment.

débonnaires : Nana, Natal Indula, Marula…

Les chanceux les retrouveront le lendemain et les jours Aujourd’hui, les projets sont se sont multipliés. D’abord, d’après, aux quatre coins de la réserve, leur territoire un centre de réhabilitation qui récupère les bébés orphelins. qu’ils partagent sans faire d’histoire. Le spectacle semble Il accueille des éléphants, mais aussi des petits gnous ou intemporel pourtant, depuis vingt ans et l’arrivée des sept encore nyalas.

Depuis quelques années, les bébés rhinocéros bénéficient d’une attention particulière à cause du fléau du braconnage qui voit mourir les parents. Le boma (enclos) qui a accueilli les premiers éléphants est toujours en service. D’autres, abritant des végétations différentes, ont été aménagés pour que chaque animal trouve son environnement spécifique. On les nourrit au biberon, on les soigne. Pour respecter au mieux leur croissance, seules une ou deux personnes sont autorisées à être en contact avec les rescapés. Le moment venu, les animaux sont relâchés dans la nature, souvent après plusieurs mois de soins au centre.

Autre projet d’envergure : la mise en place d’un camp de volontaires locaux et internationaux destiné à éduquer à la préservation de la nature. L’idée séduit et Promise Dlamini et Victor Ngwenya, forts de leurs dix années d’expérience en tant que rangers, en sont aujourd’hui les responsables. Quant aux éléphants, ils devraient voir leur terrain de jeu s’agrandir de 3 500 hectares en 2019. « Mon prochain projet, qui devrait se concrétiser cette année, c’est l’expansion de Thula Thula pour agrandir l’habitat de nos éléphants car nous approchons notre capacité maximum. C’est un projet organisé avec les cinq chefs des communautés locales. Le nouveau territoire devrait s’étendre jusqu’au sud du Parc de Hluhluwe-Umfolozi », explique Françoise. Son dynamisme vient de lui valoir le prix du public des Français de l’étranger. Courant mars, elle a donc quitté son bush sud-africain pour recevoir sa récompense sous les ors du quai d’Orsay. Mais les éléphants sont toujours au cœur de ses préoccupations…. Et de sa cuisine !